vendredi 24 février 2012

mercredi 15 février 2012

INTERNET


 

  INTRODUCTION


La question du développement actuel des nouvelles technologies, leur apport en ce qui concerne l’acquisition du savoir et le déséquilibre d’accès qu’elle pose dans nos sociétés sont de nos jours les préoccupations les plus récurrentes qui nourrissent toutes réflexions sur l’importance des nouvelles technologies dans l’éducation. Le rôle des NTIC et particulièrement d’Internet dans l’acquisition du savoir  ne fait désormais aucun doute. Ce savoir avec Internet est devenu l’objet d’immenses enjeux économiques, politiques et culturels, au point de pouvoir prétendre qualifier les sociétés dont nous commençons à voir se préciser les contours. Ainsi, avec Internet il semble que c’est tout un univers qui se trouve bouleversé. Il suffit simplement de voir les transformations apportées par celui-ci dans les sociétés développées pour se rendre compte de l’impact qu’il peut avoir sur le mode de vie et l’identité même d’une société. Avec l’avènement du village planétaire cette réalité, loin de ne toucher que les sociétés des pays du nord est devenue un enjeu planétaire. L’Afrique qui semble être le dernier continent à pénétrer dans cet univers n’est pas en marge de cette réalité. Si l’on s’accorde sur la pertinence de cet enjeu, des questions essentielles pour le continent restent posées :
Quel est l’impact réel d’internet sur les sociétés africaines  et sur l’acquisition du savoir? Et que faire, face aux déséquilibres qui marquent l’accès au savoir et aux obstacles qui s’y opposent, à l’échelle locale comme à l’échelle globale ?
Ce sont autant de questions que notre travail essayera d’apporter des éléments de réponse, tout en présentant à la base une clarification conceptuelle des termes essentiels d’Internet, de culture et de société de savoir, qui constituent l’architecture de notre sujet de réflexion.




I.                  APPROCHE DEFINITIONNELLE


CULTURE : Nous retiendrons juste dans le cadre de ce travaille une conception ethnologique de la culture que nous partageons d’ailleurs avec l’ethnologue britannique E. B. Taylor qui avançait en 1871 que « La culture […] est cet ensemble complexe qui inclut la connaissance, la croyance, l’art, la morale, le droit, la coutume et toutes autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société »[1] . Dans cette optique, le champ culturel embrasse pratiquement tout ce qui fait de l’individu un être social.
INTERNET : c’est un système mondial d'interconnexion de réseaux informatiques, utilisant un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données. C'est donc un réseau de réseaux, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics, privés, universitaires, commerciaux que gouvernementaux. Internet transporte un large spectre d'informations et permet l'élaboration d'applications et de services variés comme le courrier électronique, la messagerie instantanée et le World Wide Web. Internet ayant été popularisé par l'apparition du World Wide Web, les deux sont parfois confondus par le public non averti. Le World Wide Web n'est pourtant que l'une des applications d'Internet.
SOCIETES DE SAVOIR : la notion de sociétés du savoir inclut des dimensions sociales, éthiques et politiques bien plus vastes. Le pluriel ici n’est évidemment pas un hasard: il vient récuser l’unicité d’un modèle qui serait fourni « clés en main » et qui refléterait insuffisamment la diversité culturelle et linguistique, seule à même de permettre à tout un chacun de se reconnaître dans les évolutions en cours. Il y a toujours différentes formes de savoir et de culture qui entrent dans la construction de toute société, y compris celles qui sont fortement influencées par le progrès scientifique et technique moderne. On ne saurait admettre que la révolution des technologies de l’information et de la communication puisse conduire, par un déterminisme technologique étroit et fataliste, à n’envisager qu’une seule forme de société possible.
La « Société de la connaissance » (ou du savoir) dessine de ce fait, une vision plus humaine dans laquelle les TICs sont au service du développement culturel et permettent de nouvelles formes d'organisation sociale et de communication ainsi que le partage et la co-production des savoirs et des connaissances.
Elle doit être humaine, répondre aux aspirations des hommes, permettre plus de justice, de solidarité, de démocratie, de paix. Ce sont les enjeux humains, sociaux, culturels, politiques qu’il faut prendre en compte pour une société du savoir. La société du savoir s’intéresse aux contenus plutôt qu’à la connectivité, à l’usage du savoir plutôt qu’à son stockage.

II. INTERNET ET CULTURE AFRICAINE

II.1. Les menaces d’internet pour la culture


Une  conception ethnologique de la culture nous permet de mesurer et d’appréhender les enjeux réels de la cyberculture puisque la culture définit en quelque sorte l’identité de l’individu d’où un intérêt pour chaque peuple à conserver et à promouvoir ses valeurs culturelles. L’Afrique plus que tout autre continent a besoin de retrouver, de restaurer et de promouvoir sa culture longtemps bafouée par des siècles d’esclavage suivis de la colonisation. Mais avec l’ère de la mondialisation et surtout celui du « village global » que proposent les NTICs en particulier Internet, de nombreuses questions restent posées quand au devenir de cette culture.
Ainsi, ouvrir l’Afrique à l’internet est perçu comme une ouverture à une nouvelle colonisation : les TIC, l’internet en  particulier, constituent un vecteur de domination à la fois culturel et économique et elles suscitent la crainte d’une occupation d’un genre nouveau en Afrique, dans la mesure où l’approche marchande de la mondialisation est fortement influencée par la culture et les pratiques commerciales occidentales à fort soubassement capitaliste. Ce nouveau paradigme du partenariat d’échange nécessite pour l’Afrique une adaptation à la nouvelle culture économique qui passe par une plus grande ouverture de l’Afrique au reste du monde.
Par ailleurs il existe un lobby en faveur d’une politique africaine des Etats-Unis. Elle est sociale et culturelle. Mais dans un pays où on laisse à la libre entreprise le rôle d’assurer le développement des NTIC, elle ne peut se définir que comme une nouvelle avancée de l’économie de marché, avec à la clef, l’abolition ou l’absorption des frontières idéologiques et culturelles, l’uniformisation des comportements et des idées. Ainsi que le souligne Nelson THALL, disciple de Marshal MacLUHAN, le projet inavouable de l’Internet est d’amener le monde entier à penser et à écrire comme les Nord-américains. C’est-à-dire une globalisation de l’ « Américan way of life » qui s’érigerait en modèle culturel. Il ne s’agit dès lors plus d’intégration mais d’assimilation culturelle.
Une perversion de la jeunesse : risque de libertinage pour la jeunesse qui est à la recherche de modèles sociaux se ruent sur internet qui sans le vouloir est souvent un réseau de plusieurs réalités (prostitués, pédophiles, terroristes et autres idéologies sectaires) absentes dans la culture africaine qui elle est conduite par des tabous.
Un constat de la disparition de l’oralité culturelle qui favorisait une certaine solidarité, proximité et fraternité au profit d’hypertexte à distance. Les personnes qui autrefois se rencontraient pour des échanges s’envoient simplement des messages qui bien souvent ne reflètent en rien la sensation émotionnelle que revêt une présence humaine fraternelle.
La démocratisation de l’ordre socioculturel et perte de la gérontocratie : Avec l’Internet la transmission verticale du savoir tend à disparaître en Afrique. Autrefois les connaissances se transmettaient de père en fils, avec l’Internet la transmission des connaissances devient transversale. Les jeunes ont la possibilité de voyager sans quitter leur pays. L’Internet nous fait visiter le monde, découvrir des paysages et d’autres contrées qui n’existaient que dans l’imaginaire et les récits des anciens aux soirs de veillée.
Le réflexe du jeune écolier aujourd’hui, n’est plus d’interroger grand-père pour répondre à des enquêtes sur l’histoire de sa ville. Il pense d’abord à interroger son ordinateur. Grand-père si savant, si puissant qu’il soit, n’est consulté que pour de brefs compléments de l’information livrée par le serveur. Il y a donc lieu de se demander si en perdant son savoir, grand-père ne perd-il pas en même temps  son pouvoir qui lui a valu tout le respect de la communauté ?

II.2. Internet: un vecteur de la promotion de la culture africaine


Ils sont nombreux ceux qui voient en l’internet un puissant outil à partir duquel une culture est susceptible de dominer, ou tout au moins d’influencer d’autres cultures. La peur la plus évidente se situe du côté de ceux des Africains qui pensent que l’internet viendra bousculer et même faire disparaitre leur propre culture. Une telle vision renvoie à une perception négative de l’outil internet. Parfois, on donne à cet outil la force qu’il n’a pas. Certes internet est puissant et même très puissant en terme de véhicule d’informations. Son caractère instantané et démocratique (tout le monde peut lire et introduire une information à internet) ajoute quelque chose à sa puissance.
Cependant, nous ne saurons oublier qu’en lui-même, l’internet n’est pas un outil qui favorise l’impérialisme culturel. Tout dépend donc plus de l’attitude de celui qui utilise l’internet. C’est à lui d’être sélectif, de savoir ce qu’il y met et ce qu’il y retire. Les nombreuses informations qu’on trouve dans l’internet commandent que nous sachions faire des choix. Jean Claude Guedeon souligne d’ailleurs fort à propos que : 
« Internet, rappelons-le une fois de plus, ne crée rien par lui-même. Porteur d’une nouvelle donne, il conduit les granularités humaines à se reconstituer au détour de courses, de concurrences, mais aussi de nouvelles formes de collaboration qui vont traverser pays, institutions et comportements individuels »[2].
En laissant donc passer nos peurs parfois non fondées, l’internet bien utilisé peut se révéler un merveilleux vecteur de promotion de la culture africaine. Ce medium, bien que polymorphe, n’est au demeurant rien d’autre qu’un médium que nous pouvons exploiter de manière à contribuer à faire connaître efficacement de par le monde la culture africaine. L’essentiel réside véritablement sur l’acquisition des savoirs et techniques pouvant permettre de capitaliser au bénéfice de la culture africaine l’usage de ce puissant medium. Nous devons nous faire à l’idée selon laquelle, l’internet n’est pas porteur d’acculturation si nous le comprenons dans son sens primaire d’outil et de réseau.
L’internet se dévoile ainsi comme une chance pour la culture africaine de s’exposer et de se vendre en un seul clic à travers le monde entier en brisant les barrières du temps et de l’espace. L’internet donne plus de visibilité à la culture africaine en mettant à la portée de tous les richesses de notre continent. Il revient à toutes les entreprises culturelles africaines, grandes ou petites, de se mettre à l’heure de l’internet en créant des sites web capables de faire la promotion de leur image. Cela est possible car des exemples en ce sens abondent. Nous pouvons parler du musée national gabonais qui présente magnifiquement les œuvres culturelles de ce pays de l’Afrique centrale. Un autre exemple nous vient du Sénégal, un pays d’Afrique de l’ouest :
« Le site taf taf http://www.tataftaf.com Ce site Web initié par un couple d’expatriés français installés au Sénégal, présente 300 produits artisanaux sénégalais sur la toile et constitue un lieu d’échange culturel qui propose à la fois des bijoux ; des vases, des tableaux d’art, des modèles de couture qu’il est possible de commander en ligne. Le portail refuse de n’être qu’un catalogue d’artiste et affiche selon les initiateurs la volonté de pourvoir une juste rémunération du travail de leur contractant avec des prix fixés au départ et d’accord parti, mais également un préfinancement des matériaux nécessaires à la fabrication des articles. La livraison des produits commandés en ligne est assurée par DHL. Les initiateurs du site sont souvent invités à des foires et des rencontres internationales pour présenter leur trouvaille »[3].
Cet exemple sénégalais, fruit d’un couple d’occidentaux, montre avec raison que le problème fondamental c’est que si la promotion de la culture africaine n’est pas faite correctement, la faute ne revient pas à l’internet mais prioritairement aux Africains qui laissent là l’opportunité de tirer un grand profit de ce puissant outil de communication.

II.3. Internet et interculturalité

La culture d’un peuple, si elle prend du temps pour se constituer, mérite tout aussi bien d’être préservée. Surtout qu’elle est ressentie comme l’âme ou l’identité d’hommes et de femmes appartenant à un groupe humain donné. Pour cela la culture est un bien précieux.
Cependant force est de relever que la culture n’est pas une donnée fixe, immobile et sacrée de telle sorte que nous devrions tout faire pour la garder pure comme des pièces de musée. C’est vrai que comme élément identitaire, la culture entre dans la composition de ce qui fait qu’un groupe humain donné soit différent des autres groupes humains. Et cette différence participe à enrichir l’humanité car elle est l’expression même du génie humain et de l’adaptabilité de l’homme aux problèmes posés par le milieu naturel dans lequel il vit.
Toutefois, bien que capable de donner des réponses aux problèmes vécus par un peuple particulier, la culture doit entrer en solidarité avec les autres cultures. D’ailleurs, quoiqu’on dise, la culture ne s’est jamais présentée malgré les apparences, en une sorte de bulle imperméable qui ne laisserait rien filtrer. La culture s’enrichit en entrant en rapport et en dialogue constant avec le meilleur des autres cultures. C’est précisément ce dialogue interculturel qui constitue la réussite des hommes d’aujourd’hui à s’adapter facilement à leur environnement.
Plus que par le passé, le monde est défini comme un village planétaire. Les brassages culturels sont multiples avec les moyens de communication modernes qui ont fini par raccourcir incroyablement toutes les distances qui séparent les humains. On peut aujourd’hui se réveiller à Yaoundé, prendre son repas de midi à Lagos et passer la nuit à Paris ! Sans  l’interculturalité, cet élan à connaître ou à découvrir l’autre, la vie deviendrait un réel calvaire.
L’internet, avec sa capacité bibliothécaire, peut faciliter l’interculturalité dans le sens où les cultures les plus lointaines peuvent être visitées à partir de notre écran d’ordinateur. De cette manière, avec des images, des photos ou de la littérature, on pourrait arriver à un niveau de connaissance des autres cultures qui nous permette de briser des difficultés culturelles, d’abolir notre peur de l’autre. Ainsi l’internet nous pousserait à l’ouverture au monde car se diriger vers l’autre culture ne se fera plus comme un saut vers l’inconnu avec tout ce que cela comporte comme préjugés.
L’internet peut jouer un rôle de pont entre les cultures qui se retrouvent ainsi dans la toile, prêtes à être consultées par tous. Avec l’internet, on peut facilement échanger les idées et les préoccupations avec  des personnes d’ailleurs. Les blogs, les sites de rencontre mais surtout les liens sociaux attirent ainsi des individus d’horizons divers, tissant des liens entre eux. C’est vrai qu’il s’agit là le plus souvent des liens virtuels ; il faut tout de même le reconnaitre, parfois ces liens virtuels débouchent sur des rapprochements culturels et physiques qu’on n’aurait jamais pu avoir autrement.
Avec la mondialisation ou la globalisation, nous ne pouvons plus vivre comme si notre culture était la seule au monde qui vaille la peine. Il nous faut nous ouvrir à travers l’interculturalité à d’autres expériences humaines créées par d’autres cultures autres que la nôtre. L’internet peut nous aider à parvenir à cette ouverture interculturelle. Toute culture aujourd’hui qui va prendre l’option dramatique de s’enfermer sur elle-même, produit par ce fait les germes de sa propre destruction et mort.

III.1. L’Afrique et la fracture numérique

Le chemin vers la fraternité numérique ou solidarité numérique passe forcement par la résolution d’un problème qui se pose comme une plaie béante dans le vaste monde de la cybernétique : la fracture numérique. En effet, la fracture numérique est cet écart qui se creuse entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre les nations pauvres et les nations riches, en ce qui concerne l’accès à l’information, aux nouvelles technologies et le développement des TIC.
D'une manière générale, le fossé numérique peut être défini comme une inégalité face aux possibilités d'accéder et de contribuer à l'information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC. Ces éléments sont quelques-uns des plus visibles du fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l'insuffisance des infrastructures, le coût élevé de l'accès, l'absence de formation adéquate, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer parti, aux niveaux économique et social, d'activités à forte intensité d'information[4].
Point besoin de rappeler que dans la course au numérique, l’Afrique avance à pas de tortue et fait figure de parent pauvre. Ce qui l’éloigne de plus en plus du reste du monde. Les  conséquences sont énormes et demandent une réaction prompte et efficace. D’où l’urgence de mettre en place une solidarité qui puisse prendre en remorque les pays ayant un retard dans le domaine du numérique.
Gérard Berry indiquait que « tout le monde le voit et le dit, notre civilisation est en train de devenir numérique », mais que « les fondements de la locution « monde numérique » restent largement ignorés du public ». Et il ajoutait que « ce n'est pas étonnant car l'information synthétique est encore pauvre dans ce domaine qui ne repose pas sur des bases enseignées classiquement »[5].
L’Afrique est le continent où beaucoup de personnes ignorent jusqu’à l’existence du monde numérique ; particulièrement dans les campagnes où l’accès à l’électricité est un parcours du combattant. Sans parler de l’ordinateur et de la connexion internet. Que faut-il faire ?

III.2. Vers une fraternité numérique

Nous le savons tous : le fossé numérique est causé aussi bien par des raisons économiques que politiques. L’Afrique souffre cruellement du manque de moyens matériels et économiques. Elle souffre encore plus des choix politiques de ses gouvernants qui ne saisissent pas toujours dans quelle direction conduire leurs peuples pour un développement durable. Même si la tâche semble difficile, il faut se dire que la solidarité numérique peut apparaître comme une solution pouvant diminuer, voire effacer la fracture numérique. Cette solidarité peut se faire à différents niveaux.

a)    La « localisation » des ressources

Au lieu de se focaliser uniquement dans la production de ses propres ressources, il serait encore mieux de permettre que tous ceux qui le veulent et le peuvent aient la liberté d’adapter les ressources déjà produites par d’autres. De cette manière,
« chaque communauté peut prendre en main la localisation/culturisation qui la concerne, connaissant ses propres besoins et ses propres codes culturels mieux que quiconque. Il y a donc, outre une plus grande liberté et un moindre impact des retours économiques, une plus grande efficacité dans le processus, en jouant sur la flexibilité naturelle des créations immatérielles pour les adapter à ses besoins et à son génie propre. C'est aussi plus généralement ce que permettent les « contenus libres », c'est-à-dire les ressources intellectuelles – artistiques, éducatives, techniques ou scientifiques – laissées par leurs créateurs en usage libre pour tous »[6].
Cette liberté d’adaptation des ressources numériques produites par d’autres est une grande preuve de solidarité. Elle permet aux moins nantis financièrement de s’en sortir mais surtout de culturaliser l’outil informatique en l’adaptant selon ses propres besoins. Cela facilite l’intégration dans le monde numérique.

b)    La coopération scientifique

La coopération scientifique entre chercheurs du Sud et ceux du Nord peut stimuler la solidarité numérique. En tant que science, l’informatique peut orienter la recherche scientifique vers une approche des logiciels libres validés toutefois par des pairs. Dans tous les domaines de la connaissance scientifique, la coopération est pratiquée ; elle est au cœur même du fonctionnement de la recherche. Cependant, ce qui très important ici c’est que cette coopération doit cesser de se faire seulement entre chercheurs de pays riches qui bénéficient de moyens de financement que les chercheurs des pays pauvres n’ont pas. Nous sommes d’accord  avec Jean Pierre Archambault lorsqu’il écrit que :
« La qualité des logiciels libres tient pour une bonne part du débogage par des centaines de programmeurs disséminés sur la planète. D'une manière générale, science et logiciel libres partagent la possibilité d'examiner les travaux, de les modifier, de les approfondir, de les contredire... Depuis Pythagore, qui interdisait à ses disciples de divulguer théorèmes et démonstrations, les mathématiques sont libres. On voit donc mal comment une coopération scientifique informatique internationale, Nord-Sud, pourrait véritablement se développer dans un contexte où le code source est fermé, donc inaccessible : une autre dimension de l'« accès »[7].

c)     Logiciels et ressources libres

Il est aussi important que les logiciels ainsi que la production des ressources pédagogiques soient libres. On devra encourager les enseignants à auto-produire les ressources pédagogiques. Nous pensons que :
« Les standards et les formats de données doivent être ouverts. Trois raisons ont motivé cette proposition : les coûts, le caractère opérationnel de la production collaborative de contenus pédagogiques, et le fait que les modalités de réalisation et les réponses du libre en terme de propriété intellectuelle sont en phase avec la philosophie générale d'un projet de solidarité numérique, partage, coopération, échange ».
En laissant les logiciels et les ressources pédagogiques libres, les chercheurs participent ainsi à un élan de solidarité en permettant aux autres de bénéficier des libertés dont ils ont eux-mêmes bénéficié.

d)    La baisse des coûts informatiques

L’internet a un coût exorbitant qui l’est encore plus pour des populations pauvres. L’accès au réseau n’est pas chose facile. C’est vrai que les logiciels libres ont des versions gratuites téléchargeables mais pour que leur effet soit ressenti véritablement, il faut que l’on se rende à l’évidence que : « organisée au niveau d'un pays, la diffusion d'un logiciel libre permet de le fournir gratuitement à tous, avec des coûts de logistique de déploiement pour la collectivité mais une économie de licences d'utilisation à n'en plus finir »[8]. Ce faible coût des logiciels libres et gratuits lutte contre le fossé numérique. D’ailleurs, le pouvoir du logiciel libre à jouer comme un puissant facteur capable de réguler l’industrie informatique n’est plus à démontrer.
En effet, « le logiciel libre et les standards ouverts, en tant que facteurs « naturels » de diversité, concurrence et pluralisme, contribuent fortement à la baisse des prix »[9].

III.3. L’université virtuelle: un exemple à promouvoir

De plus en plus de par le monde le secteur de l’enseignement supérieur connaît une considérable mutation. On assiste au développement de nouveaux types d’établissements universitaires qui commencent à rivaliser avec les universités traditionnelles. Cette émergence de nouveaux centres d’études supérieures couvre aussi bien l’enseignement à distance (cours par correspondance et e-learning) que l’ensemble des domaines du savoir. On voit alors naître les établissements telles que les universités virtuelles, les universités en franchise et les universités d’entreprise. Tous ces centres répondent de manière nouvelle et adaptée à la demande de savoir des nombreux étudiants qui les fréquentent. Ce sont de vrais laboratoires où se crée et se transmet le savoir : ils remplissent ainsi leur rôle universitaire.
L’université virtuelle a l’avantage de répandre et de participer pleinement à la création de la société du savoir à plus d’un titre. Elle abolit les distances que l’on rencontre dans une université traditionnelle. En effet,
« l’élimination de la barrière de la distance physique du fait de la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) signifie qu’il est possible pour des institutions et intervenants étrangers de rivaliser avec des universités locales et d’être en contact avec des étudiants, dans n’importe quel pays, grâce à l’Internet ou par le biais des satellites de communication »[10].
C’est un réel espoir pour les pays en développement de voir d’éminents professeurs enseigner des cours qu’ils dispensent dans leurs propres universités aux étudiants du tiers monde, élargissant de ce fait le cercle du savoir grâce à l’internet. Sans se leurrer, l’installation, l’utilisation et la maintenance des logiciels et matériels de communication et d’information pèsent lourdement sur les budgets des nations pauvres. Cependant, « l’utilisation judicieuse des nouvelles technologies peut permettre de faire des économies substantielles »[11]. C’est ce qui s’est passé en Angleterre par exemple : « au Royaume-Uni, le coût de la formation d’un diplômé d’un cours universitaire par correspondance ne représente que le tiers de celui d’une université classique »[12].
En transformant les bibliothèques traditionnelles en centres d’information numériques, on arrive par là à régler de multiples problèmes parmi lesquels celui de la documentation. Les livres coûtent énormément d’argent. Et comme ils sont rarement édités dans les pays en développement, se les procurer devient très souvent un véritable parcours du combattant car il faut passer des commandes à l’étranger, notamment en Occident. Les bibliothèques numériques donnent un accès direct à l’information à tous les membres de la communauté universitaire virtuelle.
Ces bibliothèques mettent ainsi à la portée des étudiants et enseignants des pays en développement l’opportunité de consulter des publications particulières à l’instar des revues scientifiques spécialisées.  On peut même facilement développer des partenariats entre universités du sud et celles du nord.
Pour profiter au mieux de l’apport des nouvelles technologies dans le secteur de l’université, « le corps enseignant doit avoir une vision claire de l’objectif des nouvelles technologies et du moyen le plus efficace de les intégrer dans la conception et l’exécution des programmes d’enseignement »[13]. Sans cela, ces technologies ne seront d’aucune utilité pour l’amélioration des compétences des étudiants.

CONCLUSION


L’internet sans nul doute est aujourd’hui d’une importance capitale sur le devenir de nos sociétés, et concomitamment  sur celui de notre identité. Cela peut poser des inquiétudes, mais il paraît clair que l’enjeu universel de faire du monde un village planétaire passe par l’ouverture à cette nouveauté. Son impact sur l’éducation est indéniable, il serait même juste aujourd’hui de parler avec elle de révolution du savoir et plus encore de l’éducation entière. Toutefois, pour faire de cette révolution une effectivité universelle il semble plus que nécessaire de répondre à la fracture numérique perçue entre  pays du nord et pays du sud. Il s’agit de stimuler chez chacun une responsabilité commune, qui ne serait rien d’autre qu’une véritable solidarité numérique. C’est cela le véritable enjeu que pose notre monde contemporain surtout à l’ère de la globalisation qui souffle sur celui-ci.
 

BIBLIOGRAPHIE



1. BANQUE MONDIALE, Construire les sociétés du savoir. Nouveaux défis pour l’enseignement supérieur, Laval, PUL, 2003.
 2.  GUEDEON J. C., « Le cybermonde, ou comment franchir le mur de l’individu » dans, Le français dans le monde, n° spécial, juillet 1999.
 3.  MICHEL E., « Le fossé numérique. L'Internet, facteur de nouvelles inégalités ? » dans, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n° 861, août 2001.
4. MURRAY J.  Primitive Culture: Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Language, Art and Custom, London, 1971.

SITES WEB
2.      http://www.aedev.org/spip.php?article894



 













[1] MURRAY, J.  Primitive Culture: Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Language, Art and Custom, London, 1971,  p.1


[2] GUEDEON J. C., « Le cybermonde, ou comment franchir le mur de l’individu » dans, Le français dans le monde, n° spécial, juillet 1999, p.14

[3]  http://www.aedev.org/spip.php?article894
[4] MICHEL E., « Le fossé numérique. L'Internet, facteur de nouvelles inégalités ? » dans, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n° 861, août 2001, p. 32.
[5] http://www.dsf-fsn.org/cms/documents/fr/pdf/jpa_solidarite_numerique.pdf
[6] Idem
[7] Idem
[8] Idem
[9] Idem
[10] BANQUE MONDIALE, Construire les sociétés du savoir. Nouveaux défis pour l’enseignement supérieur, Laval, PUL, 2003, p.71.
[11]Ibid., p.80.
[12] Idem
[13] Ibid., p.81.

mercredi 8 février 2012

TYPOLOGIE CENTREE SUR L’APPRENANT




TYPOLOGIE CENTREE SUR L’APPRENANT

Les typologies centrées sur l’apprenant permettent de voir les diverses manières dont les TIC arrivent à supporter les activités de l’apprenant. En ce qui nous concerne dans ce travail, nous allons effectivement essayer de montrer comment est utilisé l’ordinateur combiné à l’internet par les étudiants se trouvant dans notre communauté. En effet, les usages que l’on fait de l’ordinateur  et de l’internet sont multiples dans le cadre éducatif, principalement les études.
Pour les étudiants de la communauté, les modes utilisateur sont les plus usités. Principalement, l’internet devient de plus en plus à travers son attractivité, une véritable bibliothèque que l’on consulte régulièrement. Cela favorise la recherche de l’information ainsi que son traitement à l’ordinateur qui, grâce à la saisie, facilite l’apprentissage aux étudiants. De plus, l’internet ouvre grandement les portes à une communication interpersonnelle mais via la machine. Des parties de travaux de groupe sont envoyés à des membres à partir d’un simple clic effectué assis devant son ordinateur. Une telle communication qui isole l’étudiant localement, fascine par sa rapidité et son immédiateté. Il n’y a plus de place pour la distance ; tout est devenu virtuellement si proche. Cela développe un esprit d’ouverture et de partage qui dépasse le cercle restreint de ceux qu’on connait ou qui sont à côté de nous. Parfois, le blog devient un forum où tout le monde peut donner son idée sur un thème particulier.
Il y a aussi les réseaux sociaux (Facebook…), la messagerie qui instantanément finissent par démocratiser l’espace communicationnel des étudiants qui échangent sur tout. L’internet permet effectivement d’apprendre au moyen des autres, parfois de manière visible en causant par le webcam avec d’autres étudiants parfois d’autres centres d’études.
Une autre activité dont profite l’étudiant est le téléchargement des images et graphiques capables de mieux illustrer un argument ; quand ce n’est pas eux-mêmes qui les introduisent dans les circuits de l’internet.  Egalement, d’autres avantages ne manquent pas : l’ordinateur supprime l’encombrement des livres et des papiers qu’il fallait transporter et classer auparavant. Leur poids et leur transport étaient sources de découragement. L’accès à l’information ne se fait plus en ouvrant les pages des livres mais en alignant quelques mots clés dans un moteur de recherche. Il n’y a plus d’effort à faire, « tout nous est livré à domicile ».
L’apprenant avec l’internet et l’ordinateur, entre en contact avec une immense source de données qu’il doit savoir gérer en distinguant le bon du mauvais.  C’est en cela que réside l’usage correct de l’internet et de l’ordinateur. L’ordinateur et l’internet rendent autonomes les étudiants dans leur marche intellectuelle en même temps qu’ils invitent au dépassement de soi.

mercredi 18 janvier 2012

LE DEVELOPPEMENT





  I.PRESENTATION DE L’AUTEUR
Le philosophe ebenezer Njoh- Mouellé est  né le 17 Septembre 1938 à, WOURI Bossoua, dans la région du Littoral au Cameroun. Spécialiste de henri Bergson, il a été étudiant  à la Sorbone et a eu comme professeur entre autre le renommé Vladimir JANKELEVITCH, qui a dirigé tous  ses travaux académiques, du diplôme d’Etude supérieur (DES) aux deux  thèses de doctorat, le 3ème cycle et le doctorat ancien régime.
Professeur à l’Université de Yaoundé , il a été pendant longtemps le chef de département de l   a philosophie de l’Ecole normale supérieure de Yaoundé où il a enseigné dès Octobre 1981, avant de ce voir confier de manière continue des responsabilités académiques et administratives au sein de l’Institut Universitaire nationale : Directeur des  études de l’Ecole normale supérieure (Octobre 168), Directeur de l’ENS, (Juillet 1972), secrétaire général de L’Université de Yaoundé (Aout 1973), Directeur de l’ENS(Juillet 1981) et j’en passe . A partir 1987, il a mené des activités  politique et fut nommé conseiller du président de la république pour les affaires culturelles et scientifiques. En 1997, il est élu député de l’Assemblée nationale où il a mené une expérience de parlementaire de 1997à2002, parallèlement avec  un autre mandat de quatre ans (1995-1999) en qualité de membre du Conseil Exécutif de l’UNESCO à Paris. Ce mandat se termine par une élection en 1999 aux fonctions de vice –président du conseil, pour le compte de l’Afrique. Il s’est rendu très rapidement célèbre par son premier livre de la médiocrité à l’excellence en 1970, où il analyse les phénomènes qui entravent le développement au Cameroun et les moyens d’y échapper à terme. La popularité de son œuvre auprès des milieux lettrés a valu à Noh-Mouelle de se voir proposé en 1990 une place de secrétariat général du rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais(RDPC). Ses pensées sont contenues de nombreux travaux des recherches, des livres, des conférences, des articles de journaux et de revues.
II. APPROCHE DEFINITIONNELLE DU CONCEPT DE DEVELOPPEMENT
Avant d’aborder le concept de développement chez Njoh – Mouellé, nous avons jugé mieux d’expliciter ce que l’on entend généralement par ce mot. En effet, le développement est un concept qui concerne tous les aspects possibles de la vie humaine, qu’il s’agisse de la politique, de l’économie, de la culture, de l’alimentation, du sport, de la  religion, etc. D’une part, c’est un concept dont l’idée exprime est périodiquement redéfinie selon le temps et les époques. D’autre part, sa définition qui diffère suivant les auteurs, s’avère nécessaire. C’est dans cette perspective que Christian Comeliau nous fait comprendre que « si la notion du développement interpelle par sa nouveauté historique, par le fait qu’elle parait bien constituer une préoccupation spécifique de l’époque que nous vivons, elle semble tellement évidente, pour ceux qui y recourent, qu’ils ne croient en fournir aucune définition précise »[1]
Toutefois, bien qu’il soit difficile d’accorder une définition précise au concept  du développement, nous allons donner quelques définitions des certains auteurs. Ainsi selon Odile CASTEL, « le développement est le processus par le quel un pays est capable de connaitre une croissance durable, autonome et convenablement répartie entre groupe sociaux et entre individu »[2]. Définissant le concept du développement dans une dimension sociale, F. Perroux dit que « c’est le fait que les hommes se nourrissent mieux, s’instruisent mieux, c’est donc l’évolution au cours de la quelle les besoins fondamentaux de l’homme sont progressivement satisfaits »[3]
Plus loin, si nous prenons le concept du développement dans son origine, il est définit par Odile CASTEL comme étant « un processus par le quel une société, a un moment de son histoire, s’organise pour une meilleure mobilisation et une meilleure utilisation des ressources et forces dont elle dispose, en vue d’atteindre un état jugé meilleure par elle-même conformément à ses aspirations et ses normes culturelles »[4]. Partant de ces définitions, le développement apparait non seulement comme une philosophie d’action mais aussi comme un objet stratégique sur un certain nombre d’idées fortes. Mais on ne saurait limiter le  développement au seul niveau matériel, et « le grossissement qualitatif de ce qui existe déjà »[5] .
De cette manière le développement devrait  chercher à fournir un type d’homme que le philosophe Njoh-Moeullé appelle « créateur, consommateur par nécessité et jamais par essence »[6]. Sur ce, nous passons à un examen de la crise du développement de l’homme.
III.EXAMEN DES CAUSES ET FACTEURS DE LA CRISE DU DEVELOPPEMENT DE L’HOMME
III.1. Discours de la philosophie du développement
Dans son ouvrage célèbre, De la médiocrité à l’excellence, Njoh-Mouellé développe longuement un propos sur la philosophie du développement. Celle-ci traverse son ouvrage de part en part. Ce qui fonde cette philosophie de  développement selon lui, c’est l’éthique de l’excellence. Dans la réflexion qu’il mène, notre philosophe établit une différence entre le développement matériel et le développement moral ou spirituel. Cette différence le conduira à distinguer le développement authentique du développement problématique : « le développement problématique qui appauvrit la substance humain, se vérifie à partir d’une critériologie principalement  constituée de statique généralement dépourvues des sens humain »[7] . Cela prouve que pour Njoh-Mouellé , les critères autres et indices (PNB ; PIB , taux de croissance , rapport mondial sur le développement …) utilisés par les organisations internationales , les économistes comme critères ou normes de référence pour évaluer le développement des populations d’un pays sont insuffisants et pas révélateurs pour traduire et avoir une perception du développement de l’homme . Pour cela il affirme : « c’est un point de vue superfificielle que celui qui se borner à juger du développement d’une société par l’aspect quantitatifs des réalisations matérielles qui y sont effectuées. Il faut encore regarder de près le rapport de l’homme à ces Réalisations. L’ignorance dont celui-ci preuve est la marque d’une misère plus grande encore »[8].
   Le développement tel que perçu par les économistes, financiers et autres experts n’est pas authentique et est très léger car il ne touche pas la question du développement dans sa profondeur. Cette approche est également « défectueuse parce qu’elle ne réfère pas l’économique à l’humain de telle sorte que le développement et le sous-développement puissent être évalués par rapport à ce repère éthique »[9]. Dépourvue de tout repère éthique et de toute référence humaine, le développement lu sous le prisme économique avec ses quantificateurs est vide. Il ne rend même pas visible l’horizon du développement authentique et réel. Le vrai développement est celui qui considère l’homme, qui le place au centre et qui a une signification pour celui-ci. Ses indices et ses grilles de perception sont donc d’un autre ordre. L’évaluation du développement moral et spirituel n’est possible qu’à partir des référentiels éthiques que sont par exemple, l « confiance » et « l’hospitalité »[10]. C’est pourquoi Lucien Ayissi peut conclure en affirmant qu’il est question d’un « développement dont l’homme est le bout de la chaine téléologique »[11].
    Il faut au vu de ce qui précède comprendre que la crise du développement humain est due à cette indissociabilité de l’être face à l’avoir. Ceci empêche l’homme d’affirmer la transcendance et la préséance de l’être sur l’avoir. Ainsi, on prend communément le développement comme une accumulation de biens matériels tout en ignorant que « tout enrichissement pris comme fin en soi est au bout du compte, un appauvrissement ; appauvrissement de l’être au profit de l’avoir, dilution de l’être dans l’avoir »[12].
    La conception courante du développement est aussi erronée car l’homme moderne pense que « pour se développer, il faut qu’il subordonne son être à la quête effrénée de l’avoir. Dans une telle conception du développement, l’homme perd alors de vue qu’en pérennant les biens matériels pour sa condition de possibilité ontologique, il aliène son être en le rivant à l’avoir »[13]. Cette conception du développement est lacunaire car contre-productive ; Un développement qui à l’avoir pour fin est hypothétique. Et pour l’illustrer, Njoh-Mouellé estime qu’on peut être démuni et diminué dans son être alors qu’on roule sur l’or. Avec cette conception, le moyen est pris pour la fin. Ce qui est dangereux, car l’avoir ne saurait être la norme du développement.
   Finalement, nous pouvons dire que le développement humain est en crise parce que la conception économique du développement ignore et fait abstraction de la référence éthique. Alors le sous-développement de l’homme est compris seulement à partir de sa paupérisation matérielle. C’est pourquoi Njoh-Mouellé martèle sr le fait que « le développement de l’homme est moins lié au matériel qu’aux facteurs éthiques »[14].
III.2- Analyses des causes de la crise du développement.
   Njoh-Mouellé n’indexe pas l’avoir comme agent et source du sous-développement humain. Il ne nous convie pas non plus à la pauvreté. Il veut nous mettre en garde en affirmant que « l’accumulation des biens matériels n’est pas une fin mais un moyen pour l’humanisation de l’homme »[15]. L’accumulation des biens matériels ne garantit pas le développement moral et spirituel de l’homme. En revanche l’avoir minimum assure l’épanouissement de celui-ci. Pour Njoh-Mouellé, l’homme accomplit et réalise son humanité s’il évite que l’enrichissement devienne l’occasion de l’appauvrissement de son être car : « ce qui importe dans tout processus d’enrichissement comme dans tout processus de transformation du monde c’est la réalisation du soi »[16]. C’est pourquoi il dénonce le monstre froid d’est la mondialisation. Elle opprime l’homme, l’écrase et le dépersonnalise. Pour y remédier, il faudrait en plus de sa teinture économique, lui donner une coloration humaine sinon l’humanité est sacrifiée au bénéfice de la rentabilité.
     Par ailleurs, nous pouvons dénoncer comme autre facteur de la crise du développement de l’homme « tout ce qui, comme la « misère subjective » et la « misère objective », fait peser une lourde hypothèque sur l’aspiration de l’homme à la liberté et à la créativité »[17]. La rupture dramatique que la fortune suscite entre mon moi actuel et ses aspirations légitimes est la première forme de misère. Cette forme est « la plus aiguë de la misère car elle fait le déchirement de l’aspiration jamais satisfaite ou imparfaitement satisfaite »[18] , dès lors que la tension de l’être à la dignité est étouffée par les nécessités de l’histoire ou aliénée par les attaques néfastes de la fortune.
   L’autre forme de misère qui a pour noms : « ignorance, superstition, analphabétisme »[19] est très évidente pour définir la crise du développement humain. C’est la misère des caverneux qui prennent des ombres pour des réalités. Njoh-Mouellé la considère comme la véritable misère parce qu’elle « maintient ou ravale l’homme à l’état de sous humanité par l’aliénation et le défaut de liberté qu’elle entraine »[20] . Bref, « la misère subjective et la misère objective représentent des limitations absolues à la libre expression de l’homme sous-développé »[21].
    En plus de ces deux formes des misères, Njoh-Mouellé identifie aussi la médiocrité comme facteur de la crise de l’homme. La médiocrité s’entend comme cette normalité confondante dans laquelle l’homme sous-développé vit, contraint qu’il est, sous la pression de la conformité sociale, de couler sa personnalité dans le moule uniformisateur d’un « on » tout à fait inauthentique, mais qui n’est pas moins déterminant par rapport au jugement et à l’agir de soi[22]. L’homme médiocre préfère fondre sa personnalité dans l’anonymat de la masse puisque celle-ci lui offre les privilèges que la société réserve à ceux qui par conformisme n’interrogent pas ses principes. Fondu et confondu dans la masse, l’homme médiocre ne distingue plus son moi individuel avec le moi collectif et ne discerne plus par son propre jugement le bien du mal, le vrai du faux, le beau du laid, le juste de l’injuste[23].  L’homme médiocre est incapable d’imprimer le sceau de sa personnalité sur le temps et l’histoire. « Son moi fondamental » se cache derrière le « moi conventionnel » car sa manière de penser et sa façon d’agir sont déterminées par la routine, le conformisme, le snobisme et la répétitivité. Il n’a plus ni personnalité ni identité.
    La médiocrité loin d’être un simple dédoublement est aussi et surtout une errance culturelle de cette dépersonnalisation de ceux dont l’identité est faussée, truquée, trafiquée et tronquée. C’est le cas de certains de nos intellectuels qui par complexe d’infériorité miment, imitent et singent le Blanc[24].
    Nous le voyons donc, tous ces facteurs que nous venons d’analyser sont la cause du sous-développement de l’homme. Pour y remédier, le philosophe nous propose et nous suggère l’éthique de l’excellence.
IV- CORRECTION DU SOUS-DEVELOPPEMENT DE L’HOMME
IV-1- La dialectique de l’être et de l’avoir
La modernité a détourné l’attention des hommes en leur faisant voir le sous-développement exclusivement en terme de privations. L’homme est ainsi défini par rapport à son avoir et non par rapport à l’être qui est pourtant son essence véritable. « Le véritable sous développement est celui de l’être en tant que tel. Un être sous-développé n’est pas un être qui n’a pas ceci, qui n’a pas cela, qui manque de ceci, qui est privé de cela…, un être sous-développé est d’abord un être en quelque sorte atrophié. ».[25] Etre atrophié c’est vivre dans l’ignorance, la superstition, la crainte des puissances terrifiante que l’on attribue à un univers déifié, la résignation qui voudrait que l’on se laisse faire par l’histoire au lieu de la faire. Le bonheur que l’on pense atteindre dans une société d’abondance n’est qu’un signe caractéristique de la médiocrité. Njoh-Mouellé ne veut surtout pas signifier que l’avoir que l’avoir n’a aucune importance dans l’entreprise d’épanouissement de l’homme, mais montrer que c’est de l’accessoire par rapport à l’essentiel qu’est l’être, car « ce n’est pas l’être qui doit être subordonné à l’avoir mais exactement le contraire »[26]. C’est ainsi que notre auteur assigne au développement une double fonction : « promouvoir l’excellence de l’homme en réduisant la médiocrité et fournir en permanence à l’excellence ainsi promue les conditions chaque fois nécessaires à sa réaffirmation »[27].
IV-2- Le maximum d’être homme ou l’excellence
            L’homme recherché par notre auteur, l’homme excellent ou l’homme de l’avenir, le seul que le développement doit consister à promouvoir, présente quelques caractéristiques principales qui sont : l’aptitude à la liberté, l’initiative créatrice, la responsabilité et l’activité incessante.
            Par liberté, Njoh-Mouellé entend l’affranchissement de l’homme des liens de l’esclavage qui lui viennent de la société dans laquelle il vit et de sa nature. La société en effet veut à tout instant maintenir ses membres dans une vision unique de l’existence. Par divers moyens, elle cherche à uniformiser les pensées et les actions des hommes, veillant à ce que personne ne fasse autrement. Il en est de même de notre nature, laquelle a tendance à nous maintenir dans des déterminations rigides et irréductibles, déterminations qui peuvent être d’ordre biologique, physiologique, psychologique ou, d’une manière générale, d’ordre culturel. L’homme excellent doit donc se donner pour tâche de se libérer de tout ce conditionnement pour se livrer à l’activité de transformation du réel encore appelée activité créatrice.
            La  créativité relève du domaine de l’art. « L’artiste est celui qui reste dans le mouvement créateur de la vie »[28] Par la sensibilité à la beauté des harmonies à créer, il enrichit l’intériorité d’une richesse que ne saurait lui procurer les biens matériels. L’art véritable est étroitement lié à la vie concrète. Il est régénération ou rénovation et brise le cercle de l’auto-répétition aliénatrice. La disponibilité au renouvellement est donc ou doit être la marque distinctive de l’homme au maximum d’être. C’est pourquoi, écrit notre auteur, « à la formation scientifique de l’homme de l’Afrique moderne, il faudra par conséquent associer une solide éducation artistique si on tient à éditer la fabrication de marionnettes et de robots humains »[29]. Le savoir proverbial qui est une fermeture sur soi et don l’Afrique est passée maître doit ainsi être remplacé par le savoir scientifique qui est créativité permanente, car «  la proverbialisassions de tout savoir est un danger pour le progrès et pour le développement »[30]. L’homme excellent, l’homme créateur, est un héros (tel le héros bergsonien), celui qui réveille la vie, un révolutionnaire. « C’est un homme résolument engagé dans le processus de la libération. Une double libération de soi-même et des autres »[31]. Par son action, il oriente l’histoire bien plus qu’il ne laisse orienter par elle. Ses initiatives novatrices engagent le sort de ses semblables ; pour cette raison, il est impératif qu’il réponde à deux exigences fondamentales : « l’exigence de responsabilité vis-à-vis de tous les humains et, corollairement, l’exigence de connaissance de ce qui est bien pour tous les humains »[32]. Les valeurs pratiques qu’il est appelé à créer doivent se donner comme modèles. Une forte lourde responsabilité pèse donc sur lui, car une moindre erreur de sa part pourrait être fatale pour ses tous et l’ignorance ou une connaissance approximative ne sauraient le caractériser.
            Contrairement à la mentalité sous-développée qui pense que le bonheur est un état définitivement constitué, Njoh-Mouellé montre que l’excellence est une quête permanente. «  L’excellence n’est excellence qu’aussi longtemps qu’elle se réaffirme tous les jours à travers ses œuvres. Il en est à peu près comme la foi dont parlent les évangiles. La foi n’est pas une chose qu’on acquiert une fois pour toute et qu’on pourrait conserver en sécurité dans un coffre quelconque. Elle se prouve de nouveau tous les jours à travers les œuvres. Cela est vrai de l’humanité de l’homme »[33]. L’homme au maximum d’être est donc dans une activité incessante. L’excellence ne saurait avoir un terme. Un homme excellent qui cessent de produit ou de créer sous prétexte qu’il atteint son objectif sombre automatiquement dans la médiocrité.
IV- 3- L’éducation
            En écrivant : « Un jour viendra où l’on n’aura plus qu’une pensée : l’éducation »[34], Nietzche démontrait par là qu’il avait bien compris que l’éducation est le véritable moteur du développement. Une société qui veut généraliser l’excellence doit former sa jeunesse à développer « le sens critique, le sens des responsabilités, le goût de la création artistique et l’amour de la liberté »[35]. L’éducation aura donc pour tâche de stimuler l’excellence en l’homme, car pour notre auteur, « tout homme est capable d’excellence »[36]. Il suffit juste de le placer dans des conditions tel qu’il se sente obligé de se surpasser. L’éducation dont il s’agit ici ne doit pas être comprise sous  «  l’unique forme de l’instruction ni dans la situation éducationnelle traditionnelle de maître-élève. C’est une éducation plus large, comportant une grande zone diffuse favorable dans laquelle baigne l’homme »[37].




[1] C.COMELIAU, Mythe et espoir du tiers-mondiste, Harmattan, paris, 1986, p.15
[2] O. CASTEL, cité par Mohamed Youssoufou Saliou, « L’Afrique  doit-elle avoir peut de la mondialisation » dans jeune Afrique Economique, n°275, du 16 au 29 Novembre, 1988, p.61
[3] Idem
[4] Idem
[5]Jean- Marie Albert, cité par Kabou Axelle, Et si l’Afrique refusait le développement ? Harmattan, paris, 1991, p.22
 Lucien ayissi, philosophe du développement et Ethique de l’excellence chez Njoh-Mouellé, dans, philosophes du Cameroun, Puy, Yaoundé, 2006, pp.79-105.
[6] Ebézére Njoh-Mouellé, de la médiocrité a l’excellence, clé, Yaounde, 1998, p.8
[7] Lucien ayissi, philosophe du développement et Ethique de l’excellence chez Njoh-Mouellé, dans, philosophes du Cameroun, Puy, Yaoundé, 2006, pp.79-105.

[8] Ebénézer Njoh-Mouellé, De la médiocrité à l’excellence. Essai sur la signification humaine du développement, suivie de Développement la richesse humaine, 2ème Edition, Mont-Cameroun, Yaoundé, 1988, p.20.
[9] Lucien Ayissi, op.cit., p.88.
[10] Ebénézer Njoh-Mouellé, op.cit., p.3.
[11] Lucien Ayissi, op.cit., p.88.
[12] Ebénézer Njoh-Mouellé, op.cit.,p.11.
[13] Lucien Ayissi, op.cit., p.89.
[14] Idem.
[15] Ebénézer Njoh-Mouellé, op.cit., p.12.
[16] Idem.
[17] Lucien Ayissi, op.cit., p.91.
[18] Ebénézer Njoh-Mouellé, op.cit., p.18.
[19] Ibid, p.19.
[20] Idem.
[21] Idem.
[22] Cf. Lucien Ayissi, op.cit., p.91.
[23] Cf. Ebénézer Njoh-Mouellé, op.cit., p.25.
[24] Cf. Ibid. p.23.
[25] Ibid. p. 69.
[26] Idem.
[27] Ibid. p.173.
[28] Ibid.  p.143.
[29] Ibid. p.151.
[30] Ebénézer Njoh Mouellé, Jalons II. L’africanisme aujourd’hui, éd. Clé, Yaoundé, 1975, p.51.
[31] Ebénézer Njoh Mouellé,op. cit., p.154.
[32] Ibid., p.159.
[33] Ibid., p.173
[34] Nietzsche cité par Njoh Mouellé, Ibid., p.165.
[35] Ibid., p.165.
[36] Ibid., p.167.
[37] Ibid., p.165.